Thèmes de recherche

10 déc
10/déc/2021

Thèmes de recherche

La loi de Stefan-Boltzmann n’est pas valable à l’échelle nanométrique

Le rayonnement thermique est notamment décrit par la célèbre loi de Stefan-Boltzmann, établie en 1884. Elle permet de déduire que le flux radiatif émis par un corps idéal, dit « noir », est proportionnel à la puissance quatrième de la température. Les chercheurs ont montré que cette loi est modifiée lorsque les surfaces échangeant de la chaleur sont proches, pour des distances nanométriques : l'exposant, qui dépend des matériaux, est réduit par rapport aux grandes distances.

Le rayonnement thermique est l’un des trois modes de transfert de chaleur, où l’énergie est transportée par de la lumière. La sensation de chaleur que l’on ressent par une belle journée lorsque l’on se tient face au soleil, un corps de température très élevée et très lointain, en est une manifestation. Celle-ci met en évidence deux éléments : le rayonnement thermique est associé aux corps chauds et peut se propager sur de très longues distances. Le rayonnement thermique est notamment décrit par la célèbre loi de Stefan-Boltzmann, établie en 1884 par Jozef Stefan (1835-1893) et son étudiant en thèse Ludwig Boltzmann (1844-1906). Elle permet de déduire que le flux radiatif émis par un corps idéal, dit « noir », est proportionnel à la puissance quatrième de la température. Pour les corps réels non idéaux, cette loi n’est plus tout à fait exacte et la constante de proportionnalité change, mais la très forte dépendance à la température, qui associe le rayonnement thermique aux corps chauds, persiste.

Plusieurs caractéristiques habituelles du rayonnement thermique ont cependant été remises en cause depuis la fin du XXème siècle, avec l’avènement des nanotechnologies. Les distances entre les corps sont maintenant nanométriques dans de nombreux cas, ce qui est bien plus faible que la taille caractéristique des porteurs du rayonnement thermique - les photons - de l’ordre de 10 micromètres (10 000 nanomètres) à température ambiante. Pour ces distances, le rayonnement thermique a lieu par un mécanisme d’effet tunnel de photon, dit « rayonnement en champ proche », et devient beaucoup plus fortement dépendant à la distance que dans le régime « en champ lointain » décrit par la loi de Stefan-Boltzmann. De nombreuses confirmations expérimentales de l’augmentation très importante du flux échangé dans ce régime ont été observées au cours de la dernière décennie, et des applications pour la conversion d’énergie thermique en électricité ou la spectroscopie sont en cours de développement [1].

Il s’avère que la dépendance du transfert radiatif à la température n’avait pas été analysée en détail pour les courtes distances. Un groupe de chercheurs CNRS au Centre d’Energétique et de Thermique de Lyon (CETHIL, situé à l’INSA de Lyon) et à l’Institut d’Electronique et des Systèmes (IES) de Montpellier a donc décidé de vérifier si le flux radiatif dans la zone de « champ proche » était toujours dépendant à la puissance quatrième de la température. Leurs travaux montrent que, pour un corps « noir » qui ne réfléchit pas mais absorbe le rayonnement, une proportionnalité au carré de la température est attendue aux très courtes distances, bien moins forte que celle de la loi de Stefan-Boltzmann. Des études expérimentales ont été effectuées avec plusieurs corps réels, à l’aide d’une technique de microscopie thermique à sonde locale qui permet de maîtriser la distance entre les corps mais également leurs températures. Elles confirment bien que la dépendance en température est atténuée en champ proche. Cependant, il peut y avoir des variations en fonction du type de matériau considéré.

Ces travaux, publiés dans la revue Materials Today Physics [2], viennent conforter les études récentes qui montrent que la dépendance à la température du rayonnement thermique, en champ lointain cette fois-ci, peut aussi varier lorsque la taille des corps devient nanométrique [3]. Ils montrent aussi qu’il sera plus facile d’intensifier le transfert radiatif en rapprochant les corps qu’en augmentant la température, ce qui devra être pris en compte pour la conception des applications.

Figure : A gauche, dispositif expérimental où une sphère chaude, dont la température est mesurée sur le levier qui la supporte, est approchée d’une surface froide à des distances nanométriques. A droite, profils du spectre de champ lointain (en pointillés) d’un corps « noir », qui ne réfléchit pas et absorbe tout le rayonnement incident, et spectre en champ proche (traits pleins, pour une distance d = 1 nm) d’un tel corps.

Ces travaux font l'objet d'un communiqué similaire du CNRS : "La loi de Stefan-Boltzmann n'est pas valable à l'échelle nanométrique".

Références

[1] C. Lucchesi, R. Vaillon, P.-O. Chapuis., Radiative heat transfer at the nanoscale: experimental trends and challenges, Nanoscale Horizons 6, 201-208 (2021)
[2] C. Lucchesi, R. Vaillon, P.-O. Chapuis, Temperature dependence of near-field thermal radiation above room temperature, Materials Today Physics 21, 100562  (2021). Article en version libre sous version "preprint".
[3] Des études théoriques ont notamment été menées par une équipe de l’Institut Pprime à Poitiers et par le groupe de chercheurs de Lyon et Montpellier. Des observations expérimentales ont eu lieu récemment aux Etats-Unis à l’Université du Michigan et à l’Université de Californie à San Diego. 

Contact chercheur : P-Olivier Chapuis, Coordinateur du thème "Micro et NanoThermique"